La tour de Babel et Don Camillo, ou comment passer un savon à Dieu.

Quel rapport me direz-vous ?
Eh bien, pour ce qui me concerne, il est direct. Je n’avais pas 30 ans lorsque j’appris que les travaux de la Tour de Babel furent interrompus par le Very Big Boss qui voulait en empêcher leur continuation parce que les hommes, trop présomptueux, voulaient atteindre des sommets connus que de Lui-Même. Comment s’y est-il pris ? Le problème est bien là, le Grand Patron a foutu le bordel sur le chantier en faisant en sorte que les ouvriers se mettent à parler de multiples langues et se trouvent dans l’impossibilité de communiquer et donc de travailler ensemble.
Je vous vois venir : quel rapport avec Fernandel ?
Il est direct. En effet malgré mes constants efforts, c’est-à-dire presque rien, j’étais archi nul en anglais et en espagnol. Les cours de langues furent toujours, pour ma modeste personne, des moments douloureux. Quel ne fut pas mon courroux lorsque j’appris que cette Tour à la con était à l’origine de mes tourments. Comme je ne manquais pas de caractère, je me suis dit : « Raymond, faut absolument que ça sorte ; va dire son fait à Dieu pour son tour de cochon sans lequel tous les hommes parleraient la même langue ». Oui mais, comment passer un savon à Dieu surtout lorsqu’on doute même de son existence ? Et là, vous voyez poindre le nez de Fernandel ? Non ? Je dévoile le truc : Fernandel, dans la série des Don Camillo, s’adresse souvent à Dieu, dans une petite église avec la mine un peu contrite dont je sus que je devais l’imiter. Et là, Dieu lui dit ses quatre vérités d’une voix caverneuse.
Malgré tout, parler à Dieu n’était pas une mince affaire mais le houspiller, je ne vous dis pas la pression. Pour autant, je ne reculais point et, après avoir pris un petit remontant pour me donner le courage nécessaire pour affronter l’Autre, j’y allais, évitant de marcher trop droit, un zeste de retenu entravant légèrement ma démarche. Comme elle était à côté de chez moi, j’arrivai malgré tout assez rapidement à l’église de la miséricorde de machin chose.
J’entrai. Un prêtre qui semblait se recueillir me dit : « Bienvenue dans la maison de Dieu mon fils, tu n’as pas l’air bien…». Je l’ignorai, puis arrivé au pied de l’autel, je fis comme Fernandel et joints mes petites mimines adoptant un air contrit. Je pris une grosse respiration et dis d’une façon spontanée et peut-être inopportune :
-On peut dire que tu m’as vraiment fait chier !
Et là croyez-moi ou non, le Très Puissant Chef des Chefs me répondit :
-Allons mon fils, soit charitable. L’éternité c’est long ; faut bien que Je me marre de temps en temps !
J’étais sur le cul incapable de réagir et me contentai d’un stupide
-Mais enfin…enfin…ça ne se fait pas, même pour rire !
-Et si mon fils, le Grand Patron c’est Moi et Je peux tout.
-Et tu en as beaucoup comme ça des plaisanteries à la con ?
-O ! Mon fils, bien plus que tu ne pourrais l’imaginer !
-Un exemple…
-J’ai inventé un paquet de religions. C’est vraiment top ! Ça fout une merde pas possible. Surtout, je me marre tous les jours quand Je les vois m’implorer, et se prosterner devant Moi, debout, assis, à genoux, à quatre pattes, à plat ventre, j’en passe et des meilleurs ! Aucune dignité les mecs !
-Là, je comprends ! Jamais d’erreur évidemment !
-Si même Moi, Je me suis planté. Je n’aurais pas dû transformer l’eau en vin mais le contraire, rien que pour voir leurs tronches déconfites !
Scandalisé par ces propos obscènes, je m’exclamai :
-Ce n’est pas drôle du tout !
-Si, si ! Ça me fait penser que Je pourrais faire un truc, histoire de passer le temps ; Je ne sais pas Moi, par exemple, transformer le pinard de la cave de Petrus Pomerol en flotte !!! Ce serait marrant ! Non ?
Transformer du Petrus Pomerol en eau ! Je vacillai et tombai à la renverse contre une colonne. Le choc fut tel que je commençais à voir les murs onduler. Là, je me suis dit : « Nom de dieu : c’est le diable !!!». Je me barrai sans attendre. Arrivé péniblement chez moi, je m’effondrai sur le divan du salon qui, lui, semblait donner de la gite à tribord. Découragé, je gémissais lamentablement en pleurant sur mon triste sort : « Je suis sur le rafiot de Noé ! ». Un brouillard épais voilait mes yeux et, au travers de celui-ci, je vis la bouteille de Chablis que j’avais entamée avant de partir pour me donner du courage. Il en restait quelques gouttes…

Raymond Brunner