MA PREMIÈRE ET DERNIÈRE NOUVELLE LITTÉRAIRE

La pluie fouette les vitres du bar au rythme irrégulier des rafales violentes du vent qui déambule frénétiquement au travers des rues étroites du centre ville. Les coups de tonnerre qui frappent par intermittence couvrent les beuglements des clients ivres qui peinent à se maintenir debout et braillent à chaque éclair comme des gorets qu’on égorge.
La détermination évidente de celui qui en veut à ma peau me semble tellement puissante que je me suis éloigné des fenêtres du bistrot pour me caler le dos au mur du fond de la salle situé près de la porte de service.
Une femme éblouissante m’apporte un café. Est-ce mon état de fébrilité, ma peur, je ne le sais pas mais, toujours est-il que cette femme, au regard si doux, à la démarche chaloupée et souple au point que j’ai l’impression qu’elle ne marche pas mais glisse sur le sol, me fait penser à un ange tombé sur terre dans cet endroit sordide comme pour dire : la beauté existe malgré tout ! J’en oubliai un instant les raisons pour lesquelles j’étais là : sauver ma peau en prenant les devants. J’essaie de lier conversation avec la belle et lui dis que j’ai été prof de français, métier trop peu rémunérateur à mon goût, ce qui est exact. J’ajoute que je suis là pour chercher l’inspiration en vue d’écrire une nouvelle. Elle semble s’en amuser. Mais ce n’est qu’à moitié faux puisque j’ai toujours pensé qu’il fallait que j’écrive afin de laisser une trace, même fort modeste, de mon passage sur terre.
Je quitte la belle des yeux et fixe à nouveau mon regard sur la porte d’entrée. J’attends la main enserrant la crosse de mon flingue posé sur ma cuisse. Mon café, que j’ai dédaigné, froid depuis longtemps, ne fume plus. Le ruissèlement maintenant ininterrompu de la flotte sur les vitres les rend opaques et, parfois, une main fébrile passe rapidement sur leur surface et un visage curieux apparait, attiré par les hurlements hystériques des poivrots. Il est 23 heures et personne ne semble encore s’intéresser à ma modeste personne. Enfin pas si modeste puisque le contrat de 50000€ lancé sur ma tête ne pouvait que susciter un vif intérêt. J’en connais des minables qui tueraient père et mère pour dix fois moins. Alors pas question de relâcher mon attention puisque je suis là justement pour régler mon problème provoqué, sans doute, par quelques grosses indélicatesses de ma part vis-à-vis d’un malfrat que je n’aurais pas dû côtoyer. Mais lequel ? La veille apprenant qu’une telle épée de Damoclès était suspendue au-dessus de ma tête, j’avais fait le tour de tous les bars et les boites de la ville pour dire que j’avais un rencard le lendemain soir avec une fille de rêve dans ce bar minable où j’attends tendu comme la corde d’un arc. Personne, dans le milieu interlope, ne pouvait l’ignorer surtout celui qui avait mis ce contrat sur ma tronche et peut-être un acolyte chargé de l’exécuter. Et comme je veux savoir qui est le premier, je me dis que ne dois pas flinguer le second ; du moins pas avant lui avoir fait cracher le morceau Je regarde ma montre : 23h38. Je ne le sais pas encore, mais il devrait me rester moins d’une heure à vivre. 23h38 donc et je commande un autre café. La blonde sublime au regard si doux me l’apporte immédiatement en me gratifiant d’un sourire tout simplement dévastateur. Je ne pouvais pas ne pas lui dire quelque chose de bien senti. Alors je risque : « J’aime cette ambiance ce soir. On se croirait dans un polar : un bar, des clients bruyants, vous, l’inévitable blonde magnifique qui fait rêver les hommes, et les coups de tonnerre accompagnés par des éclairs comme pour dire : attention danger. » La beauté, cette fois-ci, semble hilare. Je crains d’avoir trop forcé le trait ! Je n’y prête pas attention plus que cela et je bois mon café cette fois-ci sans attendre. Les derniers moments de ma vie s’écoulent au rythme effréné pulsé par les soulards. Un type, donnant du gîte, demande au barman où sont situés les W.-C. ; le barman ne le sait visiblement pas. Paniqué, je comprends et je vide mon chargeur sur le barman alors que j’avais décidé d’épargner le tueur dans un premier temps ! Paniqués les clients partent au rythme imposé par leur taux d’alcoolémie. C’est à ce moment précis que je sens une douleur violente qui vrille mes intestins. Je me plie en deux : Le café ! L’ange blond, qui semble avoir compris, s’approche de moi et me susurre à l’oreille: « Je suis la blonde de tes rêves dont tu as parlé dans toute la ville, et je te remercie de l’avoir flingué. Je n’aurai pas à partager le fric avec mon chéri !  » Elle éclate de rire et moi je reste là assis devant elle, incapable de me lever ; la douleur qui dévore mes entrailles me tétanise ! La salope passe derrière le bar en riant aux éclats et prend un stylo ainsi qu’un bloc de papier puis les jettent, avec mépris, sur ma table en criant comme une damnée « Allez connard écris tes dernières volontés. » C’était vraiment le moment de m’y mettre. Alors, j’ai commencé à écrire : La pluie fouette les vitres du bar au rythme irrégulier des rafales violentes du vent qui déambule frénétiquement au travers des rues étroites du centre vil…

Raymond Brunner