LOVE

Ils avaient parfaitement compris le mécanisme et alors ils commencèrent à dire du bien de tous et de tout. Rien n’échappait à leur gentillesse et à leur amabilité, ni les hommes, ni les choses. Lorsque, par inattention ils laissaient échapper un mot qui pouvait apparaître comme laissant supposer un mirage de soupçon de réticence, ils se jetaient dans un véritable tourbillon d’éloges.
Ils s’imposèrent partout, notamment dans la presse écrite et parlée. Les tirages dépassaient les espérances les plus folles. Les taux d’écoute arrivaient à des sommets jamais atteints. Peu à peu, les voix douces et cotonneuses suscitèrent des vocations qui déferlèrent sur tout le pays.
C’était à qui comprenait mieux l’autre et, moins ils comprenaient, plus ils applaudissaient, jamais fort, toujours feutré. A ce moment, porter un jugement contenant la moindre réserve ressortissait au plus mauvais goût et à la plus basse étroitesse d’esprit.
Dans ce nouveau monde, le nombre de divorces tomba pratiquement à zéro ainsi que celui des suicidés. La courbe démographique monta en flèche ainsi que le nombre d’heures supplémentaires de travail non payées. Entre tous les humains régnait une incroyable confiance telle que plus personne ne jugeait utile d’élire les représentants en politique. Ceux qui avaient le pouvoir ne pouvaient être que les meilleurs et les meilleurs supprimèrent toutes élections dans le plus large consensus.
A contre-courant, la résistance résista, un peu. Mais elle fut balayée par tant de sollicitude. Lorsque cette résistance fut presqu’anéantie, ils finirent par parler de la qualité irréprochable des nouveaux fusils qu’on utilisaient pour exécuter les opposants lesquels avaient tant de qualités que, le bruit des balles éteint depuis longtemps, les hommes du peloton d’exécution ne tarissaient pas d’éloges à leur égard.
Pur coton et coton pur.