L’amer Noël,

Il sursauta et crut un instant que c’était le père Noël. Jamais personne n’avait sonné à la porte de la maison un dimanche matin. Ce ne pouvait pas être un représentant de commerce ni un éboueur ou un pompier qui venaient vendre leur calendrier. Pas un dimanche si tôt et encore moins le jour de Noël ! Alors, trop heureux de rompre sa solitude, il prit son temps, pour déguster ce moment rare où quelqu’un venait lui rendre visite. La sonnette frémit une nouvelle fois. Il crut percevoir dans ces vibrations un ardent désir comme s’il sentait que la main qui appuyait sur le bouton avait longtemps hésité, tremblante, à faire ce dernier centimètre qui déclenchait la sonnerie. Il avança, à petits pas, pour mieux déguster l’instant et, lorsqu’il s’arrêta devant la porte, il posa son oreille contre celle-ci pour entendre un souffle, une espérance. La sonnette hurla une nouvelle fois. Quel bonheur ! Non seulement on voulait vraiment le voir, qui plus est, on insistait… Alors il attendit encore une bonne trentaine de secondes pour faire durer son plaisir, et d’une main tremblante d’émotion, tourna la poignée, puis, doucement, ouvrit la porte. Personne. Il suivit les pas imprimés dans la neige fraîche et c’est là qu’il perçut cette silhouette qui, s’en étant allée un beau jour de printemps sans laisser d’adresse, avait, sans l’avoir voulu, arrêté sa vie, une dizaine d’années auparavant. Au moment où la silhouette ouvrit la portière d’une vieille Renault, il essaya d’hurler : « Non ! Reste, je suis bien là ». Mais il était muet. La silhouette disparut et il ne la revit jamais. Ce fut vraiment pour lui : l’amer Noël.